Désir de libération et d’émancipation : La Tradition Primordiale face aux illusions modernes
La notion de libération, dans le sens traditionnel, ne se limite pas à un simple affranchissement des contraintes extérieures. Elle s’enracine dans une compréhension métaphysique et ontologique de l’existence, visant à libérer l’être des cycles de la manifestation conditionnée. Dans la tradition primordiale, la libération consiste à s’extraire de la roue cosmique, c’est-à-dire des cycles temporels et spatiaux qui définissent la condition humaine dans l’ordre manifesté. Cette roue, par sa nature cyclique, enferme l’être dans une répétition incessante des contingences, l’empêchant d’accéder à une véritable transcendance.
La libération traditionnelle implique une rupture avec cette circularité pour atteindre une centralité. Dans la perspective métaphysique, la roue cosmique est une image du devenir conditionné, où chaque rotation représente les variations et influences des événements sur la psyché, les émotions, et les désirs. Être prisonnier de cette roue, c’est être soumis aux fluctuations du temps et de l’espace, sans possibilité d’atteindre une stabilité intérieure. La centralité, en revanche, est le point immobile au centre de la roue, qui, bien que relié à la périphérie, demeure inchangé et inaltérable. René Guénon décrit cette centralité comme “l’axe immobile autour duquel tourne la roue du devenir”, un état d’être où l’homme échappe aux vicissitudes du monde manifesté.
Dans cette position centrale, l’être peut s’élever dans une dimension verticale. Contrairement au mouvement horizontal de la roue, qui symbolise la stagnation dans les contingences, la verticalité est le chemin de l’élévation spirituelle. Elle représente la progression de l’âme vers l’unité avec le Principe suprême. Cet alignement vertical permet à l’homme de transcender les variations psychologiques et émotionnelles causées par les événements extérieurs. Cette libération de l’influence des désirs et des passions ouvre la voie à la quiétude et à l’harmonie intérieure, des états décrits dans le Coran : “Ceux qui croient et dont les cœurs s’apaisent à l’évocation d’Allah. Certes, c’est par l’évocation d’Allah que les cœurs s’apaisent.” (13:28).
Atteindre cette libération implique de neutraliser les désirs et de surmonter l’illusion du bonheur dépendant des conditions extérieures. Les traditions sacrées insistent sur cette nécessité. Dans la Bhagavad Gita, il est dit : “Celui qui n’est pas attaché aux objets des sens, qui est en paix avec lui-même et détaché, celui-là atteint la joie éternelle.” (Bhagavad Gita, 2:55). L’état de détachement n’est pas une privation, mais une liberté vis-à-vis des influences qui agitent l’âme, permettant ainsi à l’être de se tourner vers ce qui est supérieur.
À l’opposé, la notion moderne de liberté repose sur une vision fondamentalement matérialiste et individualiste. La culture contemporaine promeut l’idée que l’émancipation passe par la satisfaction des désirs personnels, l’accumulation de richesses, et l’affranchissement des normes extérieures. Cette liberté, souvent véhiculée par les médias et la culture populaire, est centrée sur l’idée que le bonheur et l’épanouissement dépendent de la possession matérielle et de la capacité à “être soi-même” sans contrainte.
En réalité, cette conception est une fausse liberté. Elle ne libère pas l’individu, mais l’attache davantage à la roue cosmique. L’obsession de l’acquisition matérielle, par exemple, renforce la dépendance à des conditions extérieures. Si l’argent devient le moyen par lequel l’individu mesure son bonheur, il est inévitablement lié à sa présence ou à son absence. Cette dépendance crée une instabilité permanente, car la richesse matérielle est par nature éphémère et contingente. Jésus met en garde contre cette illusion : “Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, où la mite et la rouille détruisent, et où les voleurs percent et dérobent ; mais amassez-vous des trésors dans le ciel.” (Matthieu 6:19-20).
De même, l’individualisme exacerbé, qui présente la liberté comme le droit de suivre toutes ses inclinations, renforce les chaînes de l’ego. En permettant à l’homme de se définir uniquement par ses désirs et ses pulsions, cette vision le soumet davantage à la multiplicité et à l’instabilité. René Guénon écrit : “La volonté propre n’est que l’expression de l’ego, qui enferme l’individu dans une illusion de séparation et l’éloigne de l’ordre divin.” Loin d’émanciper l’individu, cette quête de liberté le plonge dans une dépendance accrue aux contingences du monde manifesté.
Les exemples dans la société moderne abondent : l’obsession pour la consommation, le culte de l’apparence et l’idéalisation de la réussite matérielle sont autant de manifestations de cette fausse liberté. Les individus sont poussés à croire que l’accumulation de biens ou la poursuite de plaisirs éphémères les rendra heureux, alors qu’en réalité, ils ne font que renforcer leur attachement à ce qui est conditionné. Comme l’affirme le Coran : “La vie d’ici-bas n’est qu’un jeu et une distraction. La Demeure de l’au-delà est bien meilleure pour ceux qui craignent Allah. Ne comprenez-vous donc pas ?” (6:32).
La libération véritable ne peut être atteinte qu’en se détachant de cette roue de dépendance. Elle repose sur un retour à l’essentiel, une orientation de l’âme vers le Principe suprême. Dans cette voie, l’homme retrouve sa véritable liberté, celle qui ne dépend d’aucune condition extérieure, mais qui est ancrée dans l’immutabilité de l’Être. Ce retour au centre, cet alignement vertical, est l’objectif ultime de la libération spirituelle, où l’âme, en paix avec elle-même, contemple la vérité éternelle dans son essence.